Lassane Zohoré, caricaturiste ivoirien et directeur de publication de l’hebdomadaire satirique ivoirien Gbich ! , s’est exprimé à ce sujet dans un entretien à Radio France internationale (RFI). Pour lui, l’attentat de janvier 2015 a marqué un tournant majeur pour les dessinateurs de presse du monde entier.
‘’Il y a un avant et un après-Charlie, car aujourd’hui, nous, les dessinateurs, on est ramollis », confie-t-il à ce journal français, évoquant une autocensure croissante.
Si, il y a dix ans, il clamait sa solidarité en déclarant ‘’ Je suis Charlie’’, M. Zohoré affirme aujourd’hui rester fidèle à cet esprit de résilience. ‘’On ne savait pas qu’on faisait un métier dangereux, au point de chercher à assassiner des dessinateurs. Cela nous a ouvert les yeux’’, ajoute-t-il.
Pour Lassane Zohoré, la caricature occupe une place essentielle dans la société ivoirienne, notamment grâce à la tradition d’autodérision des Ivoiriens. ‘’La Côte d’Ivoire a une culture d’autodérision, et cela nous a permis de nous implanter durablement’’, explique-t-il.
Cependant, cette tradition se heurte à une évolution des mentalités, marquée par une réduction de la liberté d’expression. ‘’Ce qu’on pouvait dire il y a dix ans, aujourd’hui, on ne peut presque plus en rire. Les sujets touchant les ethnies, par exemple, sont devenus tabous, car cela peut créer des frustrations’’, assure-t-il
Alors que Charlie Hebdo célèbre cet anniversaire avec un numéro spécial axé sur la critique des religions, Gbich ! adopte une approche différente.
‘’Contrairement à Charlie Hebdo, nous croyons en Dieu. Cela ne nous empêche pas de nous moquer des serviteurs de Dieu, comme les pasteurs ou les imams, mais on ne s’attaque pas à Dieu ni à ses symboles’’, précise Zohoré.
Pour le caricaturiste ivoirien, les réseaux sociaux jouent désormais un rôle central dans la remise en question de la liberté d’expression.
‘’Avec les réseaux sociaux, il y a une sorte de tribunal invisible qui juge et condamne. Hier, on pouvait rire de tout, mais aujourd’hui, tout est barricadé’’, regrette-t-il.
Lassane Zohoré confie également faire face à des menaces liées à certains dessins mal perçus. ‘’Cela arrive que des gens se sentent offensés et entraînent d’autres dans leurs points de vue. Cela pousse à l’autocensure, même si nous essayons d’encourager les jeunes dessinateurs à s’exprimer librement’’.
Malgré ces défis, Gbich ! continue de porter haut l’étendard de la satire en Côte d’Ivoire, en s’appuyant sur une culture de l’humour et de l’autodérision.
‘’C’est très important, car cela permet de désamorcer les tensions et de rire de nous-mêmes. C’est une richesse culturelle que nous devons préserver’’, conclut-il.
Dix ans après Charlie Hebdo, la liberté d’expression reste une bataille à mener, sur tous les continents. Pour Lassane Zohoré, elle passe par la résilience, mais aussi par une adaptation aux sensibilités contemporaines, sans perdre de vue l’essence même de la satire : bousculer, provoquer et faire réfléchir.
MD/Top News Africa
Publié le mardi 7 janvier 2025