Créé en juillet 1969, l’Institut d’histoire, d’art et d’archéologie africains, souffle cette année sa 55e bougie. Rattaché au département d’histoire de l’Université Félix Houphouet-Boigny et situé au quartier Biafra de Treichville, ce sont les conditions de travail de ses enseignants-chercheurs qui interpellent.
Le 12 juin 2024, à l’occasion des journées scientifiques qu’il a organisées sur le thème : « Les sciences humaines et sociales dans le développement durable en Afrique », le patron de l’IHAAA a fait un plaidoyer en direction de sa hiérarchie.
« Les difficultés auxquelles nous sommes généralement confrontés, c’est parfois l’impossibilité de répondre à certaines sollicitations des populations. Il y a un mois environ, quelqu’un est venu nous expliquer qu’à Facobly, plus précisément à Kiriao, ils ont découvert sur une montagne des écritures qui dateraient de très vieilles années.», déplore Dr Gilbert Gonnin, interrogé par l’agence de presse Top News Africa, en marge de ces journées scientifiques.
« Certes, ils ont leurs explications mais ils souhaitaient qu’une équipe s’y rendent pour déchiffrer et surtout dater ces inscriptions. Nous avons les compétences pour cela, nous avons des archéologues, des spécialistes en traditions orales qui peuvent faire le travail mais, nous ne pouvons pas les envoyer sur le terrain pour pouvoir répondre aux sollicitations de ces populations » a-t-il poursuivi.
Les propos de l’universitaire, résonnent davantage dans un documentaire, projeté ce jour-là dans l’un des amphithéâtres de l’institut où a pris place le professeur Ballo Zié, président de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody.
« Le principal problème de cet institut, c’est le manque de moyens financiers et surtout matériels. L’institut ne dispose même pas d’un véhicule », confirme Georges Adou Bogolo, l’un des anciens directeurs de l’IHAAA (1998-2000).
A la pause-café, si les invités de l’IHAAA parmi lesquels l’on compte de nombreux universitaires de renom, notamment Jean Noël Loucou, félicitent Dr Gilbert Gonnin pour l’organisation de ces journées scientifiques, ils ne sont pas moins scandalisés par l’exemple que celui-ci a pris pour illustrer les difficultés auxquels font face les spécialistes de l’histoire de l’art et autres archéologues.
L’archéologie, c’est justement ce qui passionne Charles Norbert Ouayou. Après une licence obtenue à l’Université de Dakar, il devient l’un des premiers archéologues ivoiriens. Il a vu passer à l’IHAAA, à ses débuts, de nombreux spécialistes, avec des moyens conséquents, pour réaliser des fouilles. Et, c’est justement le manque d’équipements nécessaires pour faire son travail, qui désole cet ancien conseiller de l’ex-chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, revenu à ses premières amours après la vie de Palais.
« Nous ne disposons d’aucun appareil de datation. J’en ai fait la demande à plusieurs reprises mais, on m’a toujours dit qu’il n’y avait pas de moyens pour les acheter. L’archéologie n’a rien à voir avec la bureaucratie. Elle repose sur la technique. Si on ne dispose pas des instruments nécessaires, on ne peut rien faire », regrette ce sexagénaire au verbe chatoyant.
« Ici, nous n’avons pas de laboratoire. Il faut que nous ayons ce que nous voulons que notre institut soit. Il faut qu’il soit une référence au plan mondial. Car, voyez-vous, pour les besoins de la datation, nous avons envoyé de nombreux vestiges dans la sous-région, notamment au Ghana, au Sénégal, au Libéria… Ce n’est pas possible. Sans oublier que pour avoir les résultats, ça met du temps. Les gens nous disent que les appareils coûtent chers », insiste Charles Norbert Ouayou, non sans préciser qu’« une grande partie de nos vestiges et de notre fonds documentaire ont été pillés à l’occasion des crises que le pays a connues, surtout celle de 2010-2011.
De nombreux ouvrages et objets de valeurs qui étaient dans le laboratoire et dans la bibliothèque ont été pillés et jeté dans la lagune ».
Toujours au chapitre des préoccupations, Dr Ignace Koffi, préfère, lui, s’appesantir sur les voies de publication des résultats de recherches, plus globalement dans les universités ivoiriennes.
« Les résultats des recherches doivent être publiés. Quand ils ne sont pas publiés, ils restent dans les tiroirs et ne servent finalement à rien. Ailleurs, les résultats sont vulgarisés ; le monde entier sait que tel chercheur a fait telle découverte. Ici, c’est seulement dans les revues universitaires que les résultats de nos recherches sont publiés », déplore l’un des plus proches collaborateurs de Gilbert Gonnin.
En ajoutant au chapelet des soucis auxquels est confronté l’établissement qu’il dirige, l’empiètement réalisé par des voisins indélicats, précisément des éleveurs de bétails et des mareyeurs, il n’occulte cependant pas les compétences qui sont passées ou dont dispose encore l’IHAAA.
« L’IHAAA a écrit les plus belles pages de l’histoire en Côte d’Ivoire parce qu’en son temps, l’institut avait les moyens. Par ailleurs, l’institut a accueilli de grands enseignants-chercheurs tels que les professeurs Henriette Dagri-Diabaté, Sémi Bi Zan, Simon-Pierre Ekanza, Jean Noël Loucou. Il y a eu aussi Laurent Gbagbo, Albert François Amichia… Ils ont donné une visibilité et une lisibilité à l’IHAAA. Ils ont permis à l’institut de se révéler à la Côte d’Ivoire et au monde entier, en affirmant sa vocation de recherche », assure Georges Adou Bogolo.
MD/Top News Africa
Publié le dimanche 25 août 2024